Le Nil : tensions hydriques et diplomatie égyptienne d’intimidation en Afrique de l’Est
Par: Alfred Camus Djasnan, PDG de Charilogone Media International & Directeur de Publication (DP) du Magazine Charilogone - La Rédaction CharilogoneDepuis plusieurs années, le partage des eaux du Nil suscite de vives tensions entre les pays riverains. L’Égypte, historiquement avantagée par les accords coloniaux de 1929 et 1959, cherche aujourd’hui à préserver ses intérêts vitaux en mobilisant une diplomatie offensive, marquée par des pressions, des menaces et des stratégies d’intimidation, notamment envers l’Ouganda. Ces accords, signés sous l’égide du Royaume-Uni, attribuaient à l’Égypte 55,5 milliards de m³ d’eau par an et au Soudan 18,5 milliards de m³, soit près de 87 % du débit total du fleuve, sans consulter les autres pays du bassin tels que l’Éthiopie, l’Ouganda, le Kenya, le Rwanda, la Tanzanie, le Burundi ou la RDC.
Face à cette répartition jugée injuste, plusieurs États d’amont ont initié en 2010 le traité d’Entebbe, signé en Ouganda. Ce traité vise à établir une Commission du bassin du Nil chargée d’étudier une répartition équitable des ressources en eau entre les onze pays concernés. Il rejette les droits hérités de l’époque coloniale et propose une gouvernance collective du fleuve. L’Égypte et le Soudan, dirigé par le général Abdel Fattah al-Burhan, ont refusé de s’aligner sur cette nouvelle dynamique, invoquant leurs droits historiques et leur dépendance vitale au Nil — l’Égypte tire 97 % de son eau potable du fleuve.
Les pays signataires du traité d’Entebbe avancent plusieurs arguments : ils dénoncent l’injustice des accords coloniaux, revendiquent leur souveraineté sur les ressources naturelles et soulignent leur besoin de développement à travers l’irrigation, l’hydroélectricité et l’accès à l’eau potable. De leur côté, l’Égypte et le Soudan mettent en avant leur vulnérabilité hydrique, leur sécurité nationale et leur droit acquis. L’Égypte, en particulier, mène une campagne diplomatique agressive pour influencer l’Ouganda et freiner l’application du traité, en recourant à des tactiques de pression politique et économique.
Ce bras de fer diplomatique illustre les tensions croissantes autour de l’eau, ressource stratégique et vitale. La mise en œuvre du traité d’Entebbe reste partielle, faute d’un consensus régional. Seule une coopération transfrontalière sincère et équilibrée permettra d’éviter que les différends hydriques ne dégénèrent en conflits ouverts.
Il est crucial que la communauté internationale, tout comme les organisations régionales africaines, se penchent sérieusement sur la question du partage des eaux du Nil. Cette tension persistante ne peut être ignorée, car aucun pays ne saurait accepter que des traités coloniaux dictent l’avenir de ses ressources naturelles. L’Égypte exerce une pression constante, mêlant intimidation et menaces, sur les États du bassin du Nil afin qu’ils se conforment à sa vision et acceptent les anciens accords hérités de l’époque britannique.
Comment comprendre qu’à l’heure où les pays africains aspirent à une véritable souveraineté et à une indépendance pleine et entière dans la gestion de leurs ressources, certains États comme l’Égypte et le Soudan continuent de s’accrocher aux accords coloniaux ?
Cette posture va à l’encontre des principes d’équité, de coopération régionale et de justice historique. Il est temps de reconnaître que les réalités géopolitiques et environnementales ont changé, et que seule une approche inclusive et équitable permettra de garantir la paix et la prospérité dans la région du Nil.
Diplomatie égyptienne en action : la visite de Museveni au Caire
Le président ougandais Yoweri Museveni a effectué une visite officielle en Égypte à l’invitation de son homologue Abdel Fattah Al-Sissi, marquant un tournant stratégique dans les relations bilatérales entre les deux pays. Lors de leur conférence de presse conjointe tenue le 13 août 2025 au palais présidentiel d’Al-Ittihadiya, les deux chefs d’État ont souligné leur volonté commune de renforcer la coopération économique et diplomatique, tout en abordant les enjeux sensibles liés au partage des eaux du Nil.
Le président Al-Sissi a affirmé que « l’Ouganda est un partenaire essentiel dans la région du bassin du Nil méridional », ajoutant que « l’Égypte ne tolérera aucune menace à sa sécurité hydrique ». Ces propos font écho aux tensions persistantes entre l’Égypte, l’Éthiopie et les autres pays riverains du Nil, notamment autour du Grand Barrage de la Renaissance. En investissant massivement en Ouganda, Le Caire cherche à consolider son influence dans la région et à promouvoir une gestion concertée des ressources hydriques, tout en exerçant une diplomatie d’intimidation pour dissuader les initiatives unilatérales.
La visite a été ponctuée par la signature de plusieurs mémorandums d’entente, dont la construction de barrages, la collecte des eaux souterraines, le développement de vaccins et de produits pharmaceutiques, l’irrigation mécanisée, la production d’énergie solaire, ainsi que la création d’un institut diplomatique ougandais. Les deux pays ont également convenu d’une exemption réciproque de visas pour les détenteurs de passeports officiels. Ces accords ont été précédés par le forum des hommes d’affaires égypto-ougandais tenu au Caire le 12 août, et la signature d’un nouveau cadre de coopération à Kampala le 5 août.
Le président Museveni, tout en saluant l’engagement égyptien, a exprimé son intérêt pour une coopération renforcée dans les domaines économiques et hydriques. Le volume des échanges commerciaux entre les deux pays, qui a atteint 139 millions USD en 2024, devrait connaître une croissance significative grâce à ces nouveaux partenariats.
Ce rapprochement diplomatique et économique illustre une stratégie égyptienne visant à contraindre l’Ouganda à adopter sa vision du partage des eaux du Nil, en particulier dans le contexte de rivalité avec l’Éthiopie. En plaçant l’investissement au cœur de sa diplomatie régionale, l’Égypte cherche à bâtir un front solidaire avec le Soudan et l’Ouganda pour défendre ses intérêts hydriques, tout en recourant à des tactiques de pression et de menace pour imposer sa position.
Leave A Comment