L'ingérence égyptienne et ses rôles dans le conflit soudanais et en Afrique
L'ingérence égyptienne et ses rôles dans le conflit soudanais et en AfriquePar: Alfred C.DJASNAN, Chef de la Rédaction Charilogone
Le rôle de l'Égypte dans le conflit au Soudan n'est un secret pour personne. Ce n'est pas la première fois que l'Égypte essaie d'avoir la mainmise sur ce pays, et cela remonte à l'époque antique. En effet, les deux pays ont des liens historiques profonds, remontant à l'époque de l'Égypte ancienne et de la Nubie. La Nubie, située dans le sud de l'Égypte et le nord du Soudan, a été un partenaire commercial et un adversaire militaire de l'Égypte antique. L'Egypte a profité de son influence militaire lors de la conquête du Soudan à l'époque de Mohammed Ali Basha le Turque, entre 1821 et 1881, pour confisquer une partie des terres soudanaises situées au nord-est du pays.
Et on peut constater encore aujourd'hui, à l'ère du XXIe siècle, que cette intention de conquête est toujours présente dans la sphère politique des Égyptiens. Cela fait que les personnalités de la communauté noire, qui viennent généralement des vallées de Nubie, ne bénéficient pas de bonnes promotions dans la gestion du pays.
Depuis lors, l'Égypte a nourri ses appétits dans ses relations avec le Soudan, basées uniquement sur des intérêts géopolitiques, économiques et culturels, et continue de s'ingérer dans le conflit interne qui concerne les Soudanais.
En quoi le conflit soudanais constitue-t-il une menace pour la sécurité nationale de l'Égypte ?
Ne devrait-on pas simplement dire que le conflit au Soudan a stoppé les activités économiques du pays, ce qui a eu des impacts négatifs sur la flambée des prix en Égypte ?
Ce conflit est né du fait que le leadership du général Al-Burhane était mis en cause parce qu'il n'avait pas la main libre pour prendre les décisions concernant les intérêts des Soudanais et du pays. Le chef de la transition a laissé son pays entre les mains des Égyptiens en leur accordant la base de Marawi pour leurs entraînements militaires dans le cadre de "L'opération l'Aigle du Nile".
Cette opération est une initiative militaire conjointe entre l'Égypte et le Soudan, visant à renforcer la sécurité et la coopération entre les deux pays. Mais en effet, cette initiative militaire est en réalité une préparation à la guerre, préparant une éventuelle frappe contre le barrage de la Grande Renaissance situé à la frontière soudano-éthiopienne.
Certains leaders de la transition considéraient cet acte comme une trahison, estimant qu'il risquait de créer des conflits régionaux avec d'autres pays voisins du Soudan.
En début avril 2023, les Forces de soutien rapide (FSR) du général Hamiti ont lancé une attaque contre la base militaire égyptienne de Marawi au Soudan et ont également fait plusieurs prisonniers parmi les soldats égyptiens près de Merowe.
Cela a exacerbé les tensions entre les deux pays et créé une guerre de leadership patriotique entre les forces des FSR (Forces de Soutien Rapide) et les FAS (Forces Armées Soudanaises).
La présence de l'armée égyptienne à l'aéroport de Merowe était liée à des exercices militaires conjoints avec l'armée soudanaise, comme nous l'avons mentionné au début. Cette attaque a marqué un tournant dans le conflit, avec des affrontements intenses entre les FSR et les FAS pour le contrôle du Soudan entier.
Actuellement, l’Égypte a des objectifs clés concernant le contrôle du Soudan :
- Maintenir au pouvoir son allié soudanais, le général Abdelfatah El-Bourhane, même s'il est décrié par la communauté internationale pour avoir engagé son armée dans des exécutions physiques de civils, mener des bombardements de civils dans plusieurs localités du pays.
- Garder le Soudan sous son influence pour menacer l'Éthiopie dans sa gestion du barrage de la Grande Renaissance africaine.
- Maintenir en captivité les réfugiés et demandeurs d'asile, majoritairement soudanais, résidant en Égypte, afin de gonfler le nombre de réfugiés et permettre au pays de menacer l'Europe d'une invasion de migrants si les frontières avec la Méditerranée sont ouvertes. Il suffit de suivre le discours des autorités pour comprendre l’intention égyptienne.
Les enjeux du bassin du NIL
Pour renforcer son influence au Soudan et dans de nombreux pays africains, notamment ceux du bassin du Nil, l'Égypte n'hésite pas à s'allier avec des pays isolés sur la scène internationale tels que l'Iran, le Pakistan, la Corée du Nord, la Russie, etc. La liste est longue.
Dans le cadre du conflit soudanais, l'Algérie s'est de plus en plus rapprochée de l'Égypte pour soutenir Al-Burhane. Le Qatar s'est également invité dans ce regroupement, mais chacun y voit uniquement ses propres intérêts.
L'Égypte, mécontente du fait que le conflit au Soudan ne se termine pas rapidement et que cela a surtout fait perdre au pays des milliards de dollars ainsi que des avions de guerre volant au secours de l'armée soudanaise, contacte le gouvernement somalien et signe une coopération en matière d'investissement économique, comprise comme militaire, avec la Somalie, Djibouti et l'Érythrée. L'objectif de cette coopération tripartite est d'exercer une influence sur la Corne de l'Afrique en empêchant l'Éthiopie d'avoir une ouverture sur la mer Rouge.
Cette ambition a échoué parce que la Turquie, alliée stratégique de l’Éthiopie et de la Somalie, a décidé de jouer un rôle historique en réunissant les deux pays, à savoir la Somalie et l’Éthiopie, pour signer un accord de paix à Ankara en janvier 2025. Cet accord de paix enterre la hache de guerre diplomatique entre les deux pays frères que l'Égypte voulait séparer pour exercer son influence sur la Somalie et la Corne de l'Afrique.
L'Égypte se rapproche de l'Iran
L'Iran, en mal de se faire entendre sur la scène internationale après la perte de la Syrie, du Liban de Hezbollah et dernièrement du Hamas, a décidé de se rapprocher de l'Égypte. Cette dernière, partageant les mêmes ambitions, a aussitôt validé la visite du ministre iranien des Affaires étrangères, Abbas Araghchi, qui s'est rendu en Égypte en octobre 2024, une première depuis 2013. Cette visite s'inscrit dans le cadre d'une tournée régionale visant à apaiser les tensions et à renforcer les relations diplomatiques.
D'un autre angle géostratégique, l'Iran ne voulait pas que l'Égypte menace un jour son dernier allié yéménite, les "Houtis". Observation oblige, depuis les menaces des Houtis sur le trafic maritime en mer Rouge, avec des bateaux détournés et leurs équipages, l'Égypte n'a levé aucun doigt pour menacer les Houtis de représailles, malgré que leur contrebande ait causé une perte économique conséquente sur la rentabilité du Canal de Suez. Le nouvel allié iranien, l'Égypte, ne souhaite pas le perdre.
Au-delà de ce rapprochement, l'Iran fait d'une pierre deux coups en renforçant sa coopération avec le Soudan, qui cherche également des alliés puissants pour faire face à son ennemi, les Forces de soutien rapide (FSR), soutenues par les Émirats Arabes Unis, selon le gouvernement soudanais de transition.
Une autre motivation égyptienne pour garder une main forte sur le Soudan est de jouer la carte géopolitique sur les pays du bassin du Nil.
Le Traité d'Entebbe, la bête noire de l'Égypte, également connu sous le nom d'Accord-cadre de coopération dans le bassin du Nil, a été signé en mai 2010 par quatre pays d'Afrique de l'Est : l'Éthiopie, l'Ouganda, le Rwanda et la Tanzanie.
Cet accord vise à instaurer un partage plus équitable des eaux du Nil entre les pays riverains, en réponse aux revendications de l'Égypte et du Soudan, qui bénéficient de quotas très favorables au titre d'accords antérieurs, notamment celui de 1959, sous la période coloniale, où la Grande-Bretagne régnait en maître sur l'Égypte et le Soudan et décidait de ce qu'elle devait faire sans le consentement des autres pays membres du bassin du Nil.
Insatisfaite du projet de traité sur le Nil, l'Égypte a utilisé son lobby auprès de l'Union africaine pour faire échouer la dernière réunion prévue en Ouganda en octobre 2024. Heureusement, malgré l'annulation de la réunion par le pays hôte, l'Accord-cadre de coopération dans le bassin du Nil (CFA), également connu sous le nom de Traité d’Entebbe, est entré en vigueur le 13 octobre 2024 avec 5 pays a savoir l'Éthiopie - le Rwanda - l'Ouganda - la Tanzanie - le Burundi, malgré l’opposition et les menaces de l’Égypte sur l'annulation de cette rencontre formelle.
Jusqu'à nos jours, officieusement, l'Égypte continue de menacer les pays du bassin du Nil de manière indirecte. La raison est que le pays des pharaons surveille les éventuelles initiatives de projets de barrages sur les eaux du Nil et que leur pays ne tolérerait pas de tels projets voir le jour.
Pour cela, l'Égypte établit des partenariats avec les pays ayant les mêmes frontières avec les États membres du bassin du Nil afin d'exercer son influence.
C'est dans la même logique que l'Égypte, dans sa lutte pour les parts coloniales du Nil héritées de la Grande-Bretagne, ne souhaite pas que le Soudan sorte de son influence et rejoigne les autres pays dans le projet de partage équitable de l'eau du Nil, quel que soit le prix à payer.
Pour l’Égypte, le Soudan est un allié stratégique de haut niveau qu’il ne faut pas perdre, car l’économie égyptienne dépend en partie des matières premières en provenance du Soudan. Cette relation économique est cruciale pour l’Égypte, qui importe diverses ressources du Soudan pour soutenir ses industries et son développement économique. Les matières premières importées comprennent des produits agricoles, des minéraux, le bétail etc. et d'autres ressources naturelles essentielles.
Compte tenu de ses avantages et de ses atouts économiques, politiques et géopolitiques, l'Égypte ne souhaite pas avoir affaire au général Mohamed Hamdan Dagalo, alias Hemetti, au pouvoir à Khartoum. Pour l'Égypte, Hemetti n'apparaît pas comme un bon allié, car il revendique l'indépendance économique de son pays et sera loin d'être un ami de leur pays.
À cet effet, l'Égypte ne se cache pas mais s'affiche clairement du côté de son pion, le général Al-Burhane, et fait face aux Soudanais et les forces du FSR qui se battent contre eux et leurs alliés islamistes afin de restaurer l'autorité indépendante d'un nouveau Soudan digne, prospère et loin des influences égyptiennes et de ses alliés.
L'ingérence de l'Égypte dans les conflits soudanais, libyen, éthiopien, somalien et palestinien etc. pourrait entraîner forcement son déclin sous le régime du général Al-Sissi qui affiche clairement son ambition de faire de son pays une puissance militaire en afrique et dans le moyen orient.
Les pays concernés, ainsi que ceux riverains du bassin du Nil, ne permettront pas à l'Égypte de contrôler définitivement les eaux du Nil.
Le pays des Pharaons a intérêt à coopérer de manière juste et équitable avec les pays africains en général, sans chercher à dicter ou imposer sa ligne politique, car cela créerait inévitablement un climat d'insécurité, surtout dans la Corne de l'Afrique et à l'échelle du continent.
À SUIVRE...
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