Crise diplomatique Tchad-USA : interdiction et riposte
Par: Benny Gassi - La Rédaction Charilogone
Contexte et justification américaine
Les États-Unis, sous la présidence de Donald Trump, ont décrété en juin 2025 l’interdiction d’entrée sur leur territoire des ressortissants de douze pays, dont le Tchad.
La décision américaine s’inscrit dans un processus initié en 2017 sous l’administration Trump, lorsque le Tchad avait déjà été temporairement inclus dans une liste de pays soumis à des restrictions migratoires. Le regain de tensions en 2025 intervient après un ultimatum de trois mois adressés par Washington aux États concernés pour améliorer leur coopération en matière de sécurité et de gestion des visas.
Cette mesure, officiellement motivée par des raisons de sécurité nationale et la lutte contre le terrorisme, s’appuie sur l’article 212(f) de l’Immigration and Nationality Act. Les autorités américaines avancent plusieurs arguments spécifiques au Tchad :
· Un taux élevé de dépassement de séjour des ressortissants tchadiens (près de 50 % pour les visas touristiques B-1/B-2 et plus de 55 % pour les visas étudiants et d’échange en 2023).
· Des procédures jugées insuffisantes en matière de vérification d’identité, de délivrance de documents et de coopération sécuritaire.
· La volonté d’inciter les pays concernés à renforcer la gestion des identités et le partage d’informations de sécurité.
La décision américaine s’inscrit également dans un contexte de politique migratoire plus restrictive, renforcée par une récente attaque terroriste sur le sol américain, bien que l’auteur ne soit pas originaire du Tchad.
En outre, la crise intervient dans un contexte où le Tchad perd le rôle clef qu’il avait joué dans la lutte contre le terrorisme en se retirant du Task Force contre Boko Haram dans le bassin du Lac Tchad et en soutenant les Forces de soutien rapide (FSR) du général Mohamed Hamdan Dagalo, plus connu sous le nom de Hemedti contre le régime de Khartoum dirigé par général Abdel Fattah al-Burhan.
Il convient également de rappeler que les militaires américains et français avaient récemment renvoyés du Tchad.
Réaction et analyse de la riposte tchadienne
En réponse, le président tchadien Mahamat Idriss Déby Itno a ordonné la suspension immédiate de l’octroi de visas aux citoyens américains, invoquant le principe de réciprocité diplomatique, un usage courant dans les relations internationales mais rarement appliqué de manière aussi ferme vis-à-vis des États-Unis par un pays africain. Le président tchadien a souligné que son pays n’a « ni n’avions à offrir, ni des milliards de dollars à donner, mais le Tchad a sa dignité et sa fierté », marquant ainsi une volonté d’affirmer la souveraineté nationale et de refuser toute stigmatisation ou traitement discriminatoire à l’égard de ses citoyens.
Implications et portée de la crise
· Diplomatie et souveraineté : Le geste tchadien s’inscrit dans une logique de défense de la dignité nationale et de l’égalité entre États. Il s’agit d’un signal fort adressé à Washington, indiquant que les relations sécuritaires et les partenariats stratégiques ne justifient pas des mesures unilatérales jugées discriminatoires.
· Effets pratiques : Les deux mesures auront des conséquences immédiates : des milliers de citoyens américains résidant ou travaillant au Tchad pourraient voir leur renouvellement de visa bloqué, tandis que les étudiants, hommes d’affaires et diplomates tchadiens seront également affectés par la suspension américaine. L’ambassade américaine au Tchad a recommandé à ses citoyens d’éviter le pays et aux résidents de maintenir un profil discret, reflétant l’escalade des tensions.
· Réactions régionales et internationales : L’Union africaine s’est dit préoccupée par l’impact négatif potentiel de ces mesures sur les échanges éducatifs, commerciaux et diplomatiques, appelant à un dialogue constructif. La crise intervient dans un contexte où le Tchad joue un rôle clé dans la lutte contre le terrorisme au Sahel, ce qui pourrait compliquer la coopération sécuritaire régionale.
· Symbolique et précédent : Cette escalade marque un précédent dans les relations américano-africaines, la plupart des pays africains ayant jusque-là évité la réciprocité directe face à des mesures américaines similaires. Alors que le Tchad a opté pour la réciprocité ferme, le Congo-Brazzaville a privilégié le dialogue diplomatique, estimant que son inclusion dans la liste résultait d’une « méprise » liée à une attaque terroriste aux États-Unis.
Perspectives
La crise actuelle pourrait n’être que temporaire : les États-Unis ont laissé entendre qu’ils pourraient réviser leur position si le Tchad améliore ses procédures de gestion des identités et de coopération sécuritaire. Par le passé, une mesure similaire avait été levée après des discussions bilatérales et des efforts conjoints. Cependant, tant que la situation perdure, elle risque d’affaiblir la coopération antiterroriste et d’impacter négativement les relations économiques, éducatives et diplomatiques entre les deux pays.
En conclusion, l’interdiction d’entrée des citoyens tchadiens aux États-Unis, motivée par des raisons sécuritaires et migratoires, a suscité une riposte immédiate et symboliquement forte du Tchad, qui a suspendu les visas pour les Américains au nom de la réciprocité et de la dignité nationale. Cette crise diplomatique met en lumière les tensions entre politiques sécuritaires américaines et souveraineté des pays africains, tout en posant la question de l’avenir de la coopération bilatérale et régionale.
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